jeudi 24 janvier 2013

Billet d’humeur : pour en finir avec le mythe du bon sauvage

Une fois n’est pas coutume, cet article n’a pas vocation à rendre compte de nos pérégrinations mais à nous élever contre un phénomène trop fréquemment constaté lors de nos voyages : certains touristes attendent des locaux qu’ils soient conformes à une image de « bon sauvage » et s’offusquent quand la réalité ne colle pas à leurs stéréotypes. [oui, à l’heure où la guerre et la crise font rage dans le monde il faut savoir choisir de vraies causes d’indignation…]

Petite explication sans rentrer dans le détail de la genèse, du développement et de la postérité du mythe du bon sauvage (nb : ceci n’est pas une thèse et les spécialistes relèveront aisément des raccourcis tellement énormes qu’ils s’apparentent à des erreurs manifestes) : les philosophes des Lumières et notamment Rousseau, dans un prolongement de la réflexion sur l’homme initié à la Renaissance, se sont intéressés à la vraie nature de l’homme en opérant une distinction entre un homme naturel et un homme civilisé. Où chercher cet homme naturel ? Soit loin dans le temps, soit loin dans l’espace, ce dernier point correspondant à la création du mythe du bon sauvage. [ok c’est un peu synthétique mais franchement qui aurait été plus loin dans la lecture de ce paragraphe si nous avions détaillé ? :-)]

Le bon sauvage vit en communion avec la nature, ses institutions politiques sont simples voire archaïques, il est pauvre mais heureux, il n’est pas mû par l’ambition ou la recherche du profit, d’ailleurs il ne connaît que peu des vices de l’homme civilisé (envie, orgueil, égoïsme etc.), on peut tout juste lui reprocher une tendance à la nonchalance voire à la paresse… Précision : ce n’est bien entendu pas de manière aussi caricaturale que les choses sont présentées dans les écrits des philosophes mais c’est cette image qui s’est enracinée dans l’imaginaire collectif, les représentations des sauvages pendant voire après la période coloniale s’inscrivant dans cette tradition (à cet égard  l’Africain souriant de toutes ses dents sur le chocolat avec le slogan « Y’a Bon Banania » est devenue une icône). [Bon là vous vous demandez où on veut en venir, pas d’inquiétude ça arrive juste après]


Du coup quand on parcourt certains blogs ou récits de voyages à la recherche d’informations, on tombe sur des choses étonnantes, sur le mode « Quand même je les imaginais plus souriants » ou bien « Tout le monde ne nous dit pas bonjour quand on passe » avec à l’occasion quelques perles « dans un village, les enfants m’ont dit bonjour, j’étais contente je me suis dit que c’est ici que je vais distribuer mes stylos » (nb : il ne faut jamais donner aux enfants car cela crée de mauvais réflexes vis-à-vis des touristes voire incite à la mendicité, si on veut donner des stylos ou des livres, aller voir l’instituteur est bien mieux même si c’est moins spectaculaire). [Quand on lit ce genre de chose, on a un peu envie de se mettre les doigts au fond de la gorge pour se faire vomir, ok on exagère un peu mais c’est l’idée]


Ça nous énerve de lire de telles stupidités : certains Laotiens disent spontanément bonjour, d’autres répondent à un salut, d’autres non, globalement ils sont très accueillants et sympas, ce qui n’est nullement une obligation parce qu’à la longue voir passer des touristes chaque jour peut devenir lassant. De même la majorité des Laotiens a tendance à sourire facilement, ce qui ne veut pas dire qu’ils arborent tous un sourire radieux en permanence, peut-être qu’ils passent une journée de merde ou qu’ils ont des soucis après tout… [Ben oui ce ne sont que des humains, un peu comme nous quoi…]

Estimer qu’en tant que touriste étranger on est en droit d’attendre que les habitants d’un village se mettent au bord de la route pour faire des courbettes, jeter des fleurs sous nos pas ou prier pour que la paix soit avec nous et notre famille, c’est les considérer comme des bons sauvages et c’est insupportable. [Ce moment d’indignation est sponsorisé par Stéphane Hessel]


Nous sommes en ce moment sur une île dont les habitants sont hyper chaleureux, ce matin nous étions en vélo et nous n’avons cessé de répondre à des bonjours (sabaïdi), c’était moins le cas dans d’autres endroits et ce n’était pas forcément moins légitime, chacun agit suivant son caractère et/ou sa disposition d’esprit du moment. Oui ce n’est pas agréable quand on salue un adolescent de ne pas avoir de salut en retour mais que celui qui n’a pas connu l’âge ingrat jette la première pierre ! Oui il peut arriver (même si c’est très rare) qu’un adulte ce dise pas bonjour ou ne réponde pas, faut-il en déduire qu’il y a tromperie sur la marchandise ? [Ben oui si on était assez naïf pour penser en arrivant au Laos on pensait que tout le monde souriait tout le temps on se sent floué… Remboursez !]   

Sabaïdi = Bonjour!
 Qu’est-ce qu’on cherche en venant dans un pays comme le Laos ? A se faire valoir en étant honoré comme on ne peut espérer l’être dans notre pays ? A se rassurer sur la nature humaine en se disant qu’il y a encore des endroits où on peut être pauvre, mener une vie difficile mais sourire en permanence et ne connaître d’autre humeur que le bonheur (si tant est que cela ait jamais existé hors des utopies philosophiques ou religieuses) ? A vérifier la conformité de notre représentation du monde ? Si on vient avec ce type d’espérance, on sera cruellement déçu et on mérite de l’être… Nous essayons d’aborder les pays et les régions que nous visitons avec le moins de préjugés et d’a priori possibles, il en restera toujours trop, pour avoir une chance de comprendre deux ou trois choses pendant notre court séjour. L’ambition est modeste en apparence, quasiment irréalisable en réalité ! 
[Promis dans le prochain article on revient à nos principes de base : jeux de mots foireux, craquages en tous genres et photos au soleil pour vous tenir chaud !]

Partie de foot à Don Khong au coucher du soleil

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